manifeste de la création interstitielle
I. Nous habitons les interstices.
Ces failles fertiles, ces brèches, ces zones sans nom où rien n’est encore figé.
C’est là que surgissent les formes inattendues : savoirs sensibles, pensées incarnées, expériences sans mode d’emploi.
Nous créons dans les espaces flous, les seuils — là où les catégories vacillent.
L’entre-deux est un territoire. Il est un espace de vie.
La création interstitielle est un état, pas une méthode.
C’est un acte existentiel — pas un faire, mais un être.
Elle demande une veille, une écoute, une présence radicale.
Elle se déploie en écho à la respiration, dans l’épaisseur du moment.
Elle ne cherche pas à saisir ni à dominer le réel, mais à s’y accorder.
Nous ne choisissons pas l’entre-deux : il nous traverse.
II. Nous refusons les lignes droites.
Nous sommes transdisciplinaires, mais surtout indisciplinaires.
Nous n’obéissons pas aux cadres figés du savoir ou de la création.
Nous ne répondons pas aux logiques d’assignation.
Nous habitons l’instable et l’inachevé, car c’est là que naissent les histoires que nous ne savions pas connaître.
Nous rejetons les frontières figées entre l’art et la pensée, entre le sensible et la science, entre le réel et la fiction.
Nous refusons tout ce qui enferme et sépare, car l’interstice est mouvement, passage.
Nous ne voulons pas de savoirs repliés sur leurs territoires, ni de créations assignées à résidence.
Toute tentative de clôture — définition, objectivation, catégorisation — nous ramène aux terres fermes, là où l’interstice n’est pas.
III. Nous donnons rendez-vous à la texture du monde.
Les interstices sont des événements minuscules dans la matière.
Ils engagent tous les sens et dépendent de la plus infime modification du réel, dans sa granularité.
Ces altérations, presque invisibles, sont notre matière première.
Nous sommes multiples, fragmentaires, mouvants. Et c’est dans cette fragmentation que nous faisons lien.
La création interstitielle n’éclaire pas un chemin unique. Elle ouvre des passages praticables par d’autres vers l’espace entre les choses.
Un interstice n’existe que par lui-même. Il n’est l’exemple de rien.
Il n’a ni vocation d’illustration, ni fonction de modèle.
Nous appelons une jurisprudence interstitielle.
Une manière de faire droit à ce qui échappe.
A Paris, le 2 février 2025.

Crédit photo : Michele Caleffi